Rétrospective inédite de Theo Jansen à Bordeaux
Cet héritier de l’art cinétique laisse une œuvre originale. Grâce au FAB, Theo Jansen présente, en France, une rétrospective inédite de son travail au MusBA. Au-delà de la prouesse technique, une œuvre poétique à portée humaniste.
Le vent était capricieux, ce jour de présentation à la presse. Qu’à cela ne tienne ! Theo Jansen peut attendre des heures que la force soit suffisante pour animer ses drôles de Strandbeets. Sur la plage de La Haye, où il a grandi et continue de les faire évoluer, l’espace temps est tout autre. Ce magicien ne convoque pas Éole. Il laisse les choses faire, en toute simplicité.
Des créatures vivantes ?
Quasi autonome, chaque créature s’anime grâce à d’ingénieux processus, de savants dispositifs améliorés par des années d’expérimentation. Les squelettes, composés de tubes en PVC récupérés, sont de taille variable. Bien que monumentaux, ils ne pèsent que 180 kg. Ses 40 exemplaires uniques, dotées de noms latins, sont classées en 12 espèces (Animaris Rhinoceros, Mater Extensa, Volantum, etc.). Bouteilles remplies d’air, attaches, voiles… Que de trouvailles !
Ici, croit-on discerner une baleine, et là, une chenille, ou encore un cheval. Quand leurs poumons se gonflent et leur peau prend le soleil, on entendrait presque battre le cœur de ces grosses bébêtes ! Mais, hybrides, les Strandbeets apparaissent aussi comme d’étranges engins. Moitié animal, moitié machine, l’une d’entre elle se réfère au premier aviateur français. Theo Jansen parle plus volontiers de « solutions » que d’idées. Pourtant, c’est un grand artiste.
Quoi qu’il en soit, ces créatures seraient dotées de certains pouvoirs : elles contribueraient à lutter contre le réchauffement climatique en soufflant sur les dunes pour les renforcer. On sait combien la montée du niveau de la mer est préoccupante aux Pays-Bas. Depuis longtemps, ce défenseur de l’environnement a mis son art au service de ses convictions.
De la Haye à Bordeaux
Le long de la Garonne, aussi, la magie opère. Ou presque ! Vendredi, les ailes de cette créature se sont déployées mais pas suffisamment pour une grande marche. Le public réuni autour du miroir d’eau fut malgré tout fasciné. Invités à œuvrer, des enfants ont apporté du souffle. La relève !
Pour comprendre la portée d’un tel projet, il faut visionner les vidéos qui montrent le fabuleux ballet de ces créatures qui se déplacent même en troupeaux. Des films aux millions de vues qui ont forgé une réputation mondiale à ce Néerlandais voyageant peu, par convictions éthiques. Outre le Japon, où des collectionneurs et musées raffolent de son bestiaire fantastique, il a peu d’expositions à son actif. Cette rétrospective est donc un événement.
Une dizaine de Strandbeests sont exposées dans les jardins de l’Hôtel de Ville. Dans l’aile nord du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, l’une d’entre elle est manipulable par le public afin d’en comprendre le fonctionnement. Les visiteurs peuvent aussi y découvrir des croquis, fragments ou encore mécanismes.
Une magnifique inauguration
Pour l’inauguration, la pluie a miraculeusement cessé permettant au public d’assister à une mise en scène qui a donné tout son sens à l’exposition de ces fossiles, ces œuvres fragiles étant rapidement vouées à une vie sédentaire. En effet, si on apprécie avant tout les Strandbeets dans leur ballet, hypnotique, entre ciel et sable, elles trouvent aussi toute leur place ici. Regroupées dans les jardins de l’hôtel de ville, comme dans un cimetière, elles ont révélé d’autres forces grâce à une mise en scène particulièrement inspirée.
Tandis que s’élevaient les voix du Choeur de l’Opéra National de Bordeaux, dirigées par Salvatore Caputo, aussi juché parmi nous, Theo Jansen a fendu la foule en tirant l’une des bêtes moribondes dans un émouvant cortège funèbre. La composition d’Arvo Pärt, créateur d’une musique épurée, d’inspiration religieuse, était parfaitement adaptée. Tout était si délicat : le son et lumière, la projection de sublimes images sur un voile suspendu contre la façade. Subtile et grandiose, à la fois. À l’image de Theo Jansen.
Inventeur ou créateur ?
Comment donc cet ingénieur de formation a-t-il fait de la sculpture cinétique sa spécialité ? « À 17 ans, je voulais être pilote mais j’étais un piètre étudiant », raconte-t-il, « et je passais plus de temps à rêver, dessiner, peindre, refaire le monde », témoigne-t-il. Ses sources d’inspiration, donc : l’aviation, la robotique, les maths, mais aussi les théories de l’évolution et tant de fantasmagories…
Theo Jansen s’inspire de la sélection Darwinienne: après modélisation numérique, seules les créatures les plus performantes et rapides sont sélectionnées pour être construites. Son laboratoire : la plage. Son carburant : le vent. Il avoue humblement ne pas maîtriser grand chose, car ces créatures sont imprévisibles : « La plupart de mes projets échouent. Ils sont le résultat d’heureuses coïncidences. Je me laisse guider par le vent ».
Zen, il attend patiemment le moment propice : « Chacun de mes cheveux est comme une extension, une antenne, pour capter la direction du vent ». Son secret : la patience. Est-il vraiment « sculpteur de vent », comme beaucoup le décrivent ? Il serait plus un dompteur. Et sans aucun doute un artisan du rêve ! Son moteur : l’optimisme. « Enjoy life, la vie est un miracle permanent », clame-t-t-il à qui veut l’entendre.
En tout cas, il est allé jusqu’au bout de ses rêves. Afin de proposer une immersion complète dans l’univers de cet artiste exceptionnel, le FAB a associé le MusBA, Musée des Beaux-Arts et le collectif Cmd+O pour présenter le Playground, le CAPC Musée d’art contemporain pour une conférence, l’EBABX, École des Beaux-Arts de Bordeaux, pour un Workshop de transmission.
Sarah Meneghello
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